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IRINA BIATTURI

66 The Beautiful and Blessed g9

Artiste d’origine roumaine installée à Antibes, Irina Biatturi s’est peu à peu imposée comme un chantre de la lumière du Sud de la France. En peignant sans reläche son atmosphère azurée et en la mettant au service du portrait féminin, l’artiste compose une fresque solaire digne d’un grand récit littéraire.

Il lest dommage qu’en peinture plus encore qu’en littéra ture ou en cinéma, l’enracinement d’une œuvre dans les codes d’un « genre » stylistique soit à ce point catégorisant aux yeux de certains. Le genre, comme tout parti pris créatif, n’est réducteur que pour ceux qui ne le comprennent pas. L’attachement à des codes ayant une forte résonnance dans les imaginaires est au contraire le meilleur moyen de bâtir un propos à soi, puisqu’y avoir recours implique de se l’approprier, et se l’approprier implique nécessairement de lui apporter quelque chose qu’il ne contient pas initialement. Depuis plusieurs années, Irina Biatturi a fait le choix d’explorer un monde, celui de la côte d’azur, une esthétique, celle des années folles, un thème, celui de la femme dans toutes ses composantes: individu, icône, allégorie, symbole….

Cette artiste formée aux Beaux-arts de Bucarest se passionne très tôt au cours de ses voyages pour ce fameux climat méditerranéen, « subtropical de façade ouest * comme disent les géographes, si rare autour du globe et partout si fascinant. Sa sensibilité l’a progressivement poussée à adopter le féminin comme principal sujet, même si elle a pu longuement déployer sa vision autour de marines habitées par exemple de puissantes régates, ou dans l’abstraction. Le mouvement s’est peu à peu apaisé et les personnages féminins ont occupé de plus en plus d’espace jusqu’à ces plans rapprochés qui la stimulent particulièrement aujourd’hui.

Commetant d’artistes avant elle, la côte d’azur l’a happée pour sa lumière unique, en soi un moteur d’envie créa-tive. Ses toiles réalisées dans les règles du beau métier, sont toujours dominées de couleurs chaudes qu’lrina Biatturi utilise même pour convoquer les bleus du ciel et de la mer. Tout y est chaleureux, apaisant comme une journée passée sur la Riviera. Lignes, segments et aplats évocateurs des années 1920-30 surprennent à l’étude lorsque l’on prend conscience que l’artiste parvient à leur conférer une douceur, une absence de heurts qui composaient pourtant jadis les modèles du genre. Der-nièrement, ses femmes commencent à prendre leurs quartiers au cœur des Alpes, à la montagne qui fut elle aussi un cadre privilégié des années folles.

Un peu comme si ses compositions si envoûtantes dans leur verticalité, si éclairantes dans leur rapport au ciel, avaient fini par l’aspirer elle aussi vers la lumière immaculée de cet autre Sud où un tapis de neige supplante le va-et-vient des vagues. Fitzgerald avait en son temps décrit l’horreur sublime d’un couple de « beaux damnés

*. En se laissant envoûter par les toiles d’Irina Biatturi, on se surprend à croire à nouveau dans un bonheur entier.

Un monde où la beauté féminine n’est plus une porte ouverte sur la damnation, mais sur la bénédiction. Ses femmes muettes, superbement présentes, composent une magnifique plaidoirie artistique et humaine.

Thibaud Josset